Lat. flāuus pourrait être issu de la même base que lat. flōs et lat. flōrus, à savoir *bhleh3-, selon l’hypothèse communément admise (malgré des réserves émises par de Vaan, 225-227).
De cette base sont issues également les formes germaniques suivantes :
a) « fleur » : got. *bloma, acc. pl. blomans (Matth. VI, 28) = gr. τὰ κρίνα « lys », v.-h.-a. bluomo (m.), v.-isl. blómi (m.) et blom (nt., collectif), all. Blume (f.) : EWAhd II, 208.
b) « bleu » : v.-h.-a. blao / blaw- « bleu » ; v.-isl. blár, blá, blatt « bleu sombre, livide » (couleur du plomb, d’une ecchymose, du deuil; le terme traduitlīuidus) : EWAhd II, 161. On rapproche lat. flāuus et gall. blawr « gris, gris bleu » (Kluge, p. 90). Pour « bleu », le gallois a glas, qui signifie aussi « vert », en concurrence avec gall. gwyrdd « vert » (emprunté à lat. uiridis).
c) « fleurir » : all. blühen, Blüte (f.) « fleur ». Comme all. glühen « être en feu, rougeoyer », de *ghlō-.
On pose, pour le germanique commun, *blōman- « fleur » et *blēwa-, adjectif de couleur (EWAhd II, 208 et 161). Il est possible que le nom de la feuille (all. Blatt, v.-isl. blað) appartienne à la même base.
Irl. bláth (m.), m.-gall. blawd (m.) « fleur, fleurs des arbres en fleur » viendraient de *blātu-, ancien thème en *-u (Schrijver 1995, 179).
Flōs est probablement un ancien thème en *s, soit *bhleh3-os au sens de angl. « blossoming » ⇒ angl. « flower » (de Vaan, 227), à moins qu’il ne soit formé à l’aide d’un suffixe de nom d’agent en * ōs, à valeur collective (Stüber 2002, 76). Flōrus n’a pas de lien direct, sémantique ou morphologique, avec flōs et doit représenter un adjectif formé indépendamment sur la même base.
Dans l’hypothèse où flōs, flōrus et flāuus seraient dérivés de la même base, on a le choix entre deux explications pour flāuus :
a) un suffixe * wo-
Pour expliquer lat. flāuus ou v.-h.-a. blao, on pose habituellement un suffixe * wo- qui s’ajoute au degré ø (lat. flāuus) ou e (germ. *blē-wo). Ce flottement, inattendu dans un thématique, conduit à poser un ancien thème en *u (voir Schrijver 1991, 298).
b) *h3 > *hw
A. Martinet (1954, 219-230) fait de *h3 (Aw, dans sa notation) la labio-vélaire correspondant à *h2 ; les deux traits distinctifs du phonème *h3 peuvent, devant voyelle, se réaliser en deux phonèmes distincts, soit h + w. On a :
– *eh3 devant consonne : allongement et arrondissement de *e, en grec et en latin (octō, ὀκτώ), soit : *bhlō ro (*bhleh3- devant consonne) et *ghlō ro . On explique ainsi flōrus et χλωρός.
– *eh3 devant voyelle : allongement, coloration a et développement d’un glide labial en latin (octāuus), soit : *bhlāw o (*bhleh3- devant voyelle) et *ghlāw o ; mais coloration labiale sans allongement et développement d’un glide labial en grec (ὄγδo(ϝ)oς), soit *ghlow-ā. On explique ainsi flāuus en face de flōrus et χλόη en face de χλωρός(voir de Lamberterie, dans CEG 9, 175).
Cette hypothèse permet de faire l’économie de la loi phonétique traditionnellement invoquée pour expliquer que l’on ait āu- plutôt que * ōu-. En effet, si le suffixe est * wo, on attendrait (traitement antéconsonantique de * eh3) *flōuus et *χλώη, comme flōrus et χλωρός. Pour rendre compte de flāuus, on a donc supposé une loi phonétique * ōu- > āu- : MEILLET VENDRYES (1927, 107), LEUMANN (1977, 55), SIHLER (1991, 300). L’hypothèse de MARTINET fait l’économie d’une telle loi et flāuus, comme χλόη, a le timbre attendu.
Les formes germaniques pourraient venir de la racine *Hbhel- « croître, augmenter », telle que la reconstruit DIEU (2008, 264), avec un double traitement comparable, *blō antéconsonatique et *blēw- antévocalique (blāo). La différence est que le germanique, s’il développe également un glide labial, allongerait la voyelle sans la colorer. On a de même *knēw- (v.-h.-a. knāu « knew ») en face de lat. gnōu-ī (*gneH3 ), s’il ne s’agit pas d’une réfection secondaire de *knōw-, comme le veut BAMMESBERGER (1986, 61).
De la comparaison des formes grecques, latines et germaniques, il ressort que, dans la même zone chromatique qui va du jaune au bleu (couleur centrale), on rencontre deux bases indo-européennes *(H)bhel- et *ghel-, élargies par un même suffixe *-eh3- ; *ghel- semble avoir d’abord désigné la végétation verdoyante (χλόη, holus), puis la couleur verte (χλωρός, lit. zãlias, skt hari, etc.) ; *bhel- est associé aux fleurs et à une couleur mal définie, mais sans éclat.
Les formes germaniques et celtiques appartiennent à *bhel- et les formes grecques à *ghel-. Ces deux bases constituaient un microsystème lexical, dont l’unité était assurée par la sémantique (couleur “centrale” <⇒ végétation) et par la morphologie (même suffixe *-eh3). On s’attend donc à des interférences phonétiques et sémantiques, ce qui rend encore plus difficile la reconstruction des prototypes i.-e.
Le latin pourrait avoir confondu les deux bases. Lat. flō / flāu pourrait aussi venir de *ghleh3-. En effet, en latin, le traitement de *gh- initial est fluctuant et aboutit parfois à f- : on a f- dans fundo (*gheu- « verser » ; sk. hu ; gr. χέω) et fel « bile » (*ghel-, gr. χόλoς), mais h- dans holus (*ghel- « jaune-vert ») ou horior (*gher : osque her- « vouloir » ; gr. χαίρω, etc.).
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